Interview : Savant

Bonsoir Savant, merci de m’accorder cette interview. Peux-tu te présenter pour les personnes qui ne te connaissent pas encore.

Hey, je m’appelle Aleksander Vinter alias Savant et je viens de Norvège.

Tu as récemment avoué n’avoir jamais suivi de formation musicale. Comment se sont passés tes débuts ? Du jour où tu as eu ton premier instrument à la décision de te lancer clairement dans la musique électronique.

C’est vrai, je n’ai jamais eu de formation musicale. Cependant, j’ai postulé une fois à une école de musique. Je suis allé à l’audition et le but était de rejouer exactement les morceaux que les membres du jury jouaient.

J’ai rejoué exactement le même morceau quelques secondes plus tard et ils m’ont alors demandé si je composais des morceaux, j’ai répondu que oui.

Ils voulaient vraiment que je sois membre de cette école, mais j’avais de trop mauvaises notes alors j’ai appris par moi même.

Mon enfance était vraiment spéciale. Je suis autiste et je suis vraiment comme … un nuage. Pour moi, je ne suis pas un artiste, mais plutôt une caméra qui flotte dans l’air et qui passe son temps à observer tout et n’importe quoi.

Quand les gens me remarquent, dans ma tête je me dis : Oh putain, non ce n’est pas moi, je ne suis pas là. Dans ces moments là, j’ai envie d’être invisible.

Quand j’étais gosse, j’étais vraiment tout seul. Je n’ai pas eu d’amis avant mes 18 / 19 ans donc j’étais vraiment tout seul tout le temps.

Je ne me souciais pas des gens, moi j’avais juste envie de m’amuser avec mes jouets, de faire de la musique, de jouer du synthé, de m’enregistrer sur des cassettes et ça depuis l’âge de quatre ans.

Une fois plus vieux, j’ai demandé à ma mère de m’acheter un synthétiseur, mais elle ne pouvait pas me l’acheter, car nous étions pauvres alors j’ai volé celui de ma soeur.

C’était un Casio vraiment pourri, je ne pouvais même pas jouer trois notes en même temps alors j’ai dit à ma mère : « Je veux un ordinateur, j’ai envie de faire de la musique ». C’était en 1997, j’avais 10 ans.

eJay était le premier programme que j’ai utilisé, Rave eJay ! Le seul BMP disponible était 180, tu pouvais seulement faire de la drum and bass alors j’ai fait de la drum and bass pendant un an puis je suis passé sur FastTracker.

FastTracker si tu ne connais pas, c’est un logiciel que tu utilises quand tu veux produire des morceaux 8-bit comme ceux des jeux de Nintendo.

L’anecdote, c’est que j’ai vraiment commencé par la trance puis en grandissant j’ai commencé a traîner avec des gens qui écoutaient du métal alors j’ai joué dans un groupe de black metal au clavier. J’avais les cheveux long et noir ! Je suis blond à la base alors j’ai dû me teindre les cheveux pour être vraiment un métalleux.

Mais après quelque temps, je ne me sentais plus trop à ma place, les autres membres du groupe ne voulaient pas tenter de nouveaux trucs alors je suis retourné dans ma chambre et j’ai composé du métal à la place.

J’ai dû produire plus de 2000 morceaux de métal puis je suis passé sur FL Studio à faire de la trance et de la house.

Mais finalement ta première passion c’était le dessin c’est ça ?

Oh oui !

Quand j’étais petit, je dessinais beaucoup de personnages de Disney, Donald Duck et tous les autres puis j’ai commencé à dessiner des personnes.

Des caricatures par exemple, si tu avais un gros nez ou des grandes oreilles alors je te dessinais comme ça et les gens étaient à la fois surpris et amusés.

Tu as étudié les médias interactifs, mais tu as arrêté deux semaines seulement avec l’examen final, pourquoi ?

Le truc c’est qu’il y a une révolution un peu tous les jours dans ma tête. Je me redécouvre moi-même tous les jours. Je ne peux pas faire confiance à la personne que j’étais hier, car je suis une nouvelle personne aujourd’hui.

J’ai arrêté, car j’en avais marre. J’étudiais les médias interactifs et j’avais beaucoup de projets personnels en même temps.

J’ai eu de très grosses offres pour réaliser des clips et l’école ne voulait pas me laisser travailler là-dessus à l’école alors j’ai décidé d’arrêter l’école.

En 2009, ton premier gros projet était Vinter in Hollywood. Ton premier album album – Outbreak – a été nominé par les Grammy Awards en Norvège, comment cela est arrivé ?

Oui c’était vraiment spécial. J’ai découvert à cette époque l’album Discovery des Daft Punk et ce dernier m’a fait réaliser qu’il était temps pour moi de me redécouvrir moi-même, de redécouvrir mon enfance.

J’étais tellement inspiré par ces morceaux, les vocals étaient vraiment .. WOW. Ils m’ont vraiment emmené à ce premier projet.

C’était fou ! Le truc c’est que toutes les cérémonies des Grammy sont corrompues et le label sur lequel j’étais à l’époque faisait partie du jury et il n’avait nominé personne alors il m’a nominé.

Je n’ai pas gagné, c’est Royksopp qui a gagné le Grammy ce jour là.

En 2011, tu as sorti Ninur, un projet partagé entre Vinter in Hollywood et Savant. Pourquoi et quand as-tu décidé de créer un nouveau projet ?

Oui j’étais en pleine transition. J’en avais un peu marre d’avoir seulement des fans norvégiens, car ces derniers sont assez différents. Ils ne sont pas tellement passionnés. Le projet Vinter in Hollywood commençait à devenir un poids alors je suis passé à autre chose.

Le début de ma carrière dubstep, je la dois à un de mes amis rappeurs en 2009 qui m’a fait découvrir le dubstep. Au premier abord, j’ai vraiment détesté, mais une fois que j’ai commencé à en produire, je l’ai vraiment senti.

Mais le complextro, ça … ça c’est mon truc !

J’ai fait du dubstep pendant longtemps, le projet Ninur inspiré par Holy Ghost a commencé comme ça.

Certains disent que tu as réalisé plus de 10.000 morceaux, est-ce vrai ?

Oui c’est vrai.

Je dois être à 11.000 maintenant, mais j’en ai plus. Si tu regardes mon dossier Fruity Loops ça doit être beaucoup plus.

On te voit sur quelques photos avec un masque, celui extrait du film V for Vandetta. Il a été repris par la suite par les Anonymous. Pourquoi avoir choisi ce masque, quelle est la signification derrière ce dernier ?

Le truc que j’ai appris aujourd’hui c’est que je ne peux pas le mettre en début de show car je n’arrive plus à respirer et j’ai envie de vomir, je suis un peu claustrophobique.

Ce masque, c’est un objet de révolution, c’est les Anonymous. Ce n’est pas pour me cacher, il fonctionne comme un miroir. Je ne suis pas différent de toi. Si j’ai un point faible, alors c’est aussi mon point faible.

Mais ce masque fait référence à plusieurs choses, le film V for Vandetta qui parle de révolution et de violer la loi. De plus, ce masque me ressemble vraiment et c’est aussi en référence aux Anonymous.

J’aime les trois significations à la fois.

Et concernant le personnage Vario ? Est-ce vraiment un mix entre Mario + Playmo + Jack sparrow + Transformers + V for vendetta comme tu l’as précédemment déclaré ?

C’est un de mes amis qui l’a dessiné.

Il travaille pour une entreprise qui s’appelle D-Pad, qui fait des jeux en 2D et il voulait faire cette pochette pour moi.

Il l’a appelé Vario en référence à mon nom de famille : Vinter. V pour Vinter, un peu comme V pour Vandetta haha.

Tu as souvent partagé ton envie de créer une bande originale de jeu vidéo. Aujourd’hui il semble que ce projet est en cours, qu’est ce que tu peux me dire sur ce jeu ?

Tu sais quoi ? Je compose des bandes originales depuis que j’ai découvert Hans Zimmer, ce mec est un génie. Je suis un fan du jeu vidéo Fallout, c’est un bon moyen pour moi d’échapper à la réalité.

J’avais réalisé un morceau dans l’ambiance de jeu et si les créateurs du jeu veulent travailler avec moi alors ça serait une consécration, mais peu espoir.

Mais oui, je suis en train développer un jeu 3D de pirate inspiré par tous les classiques, mais à ma propre sauce. Je m’occupe de la bande originale et mon ami du design et du code.

Tu as récemment partagé une vidéo de Daniel Tammet, qui est une personne atteinte du syndrome du Savant comme toi, ainsi qu’un bout de ton histoire en découvrant que tu étais atteint de ce syndrome en étant petit.

Depuis cette découverte, tu as, je cite : Trouvé le chemin de la vie. J’étais en paix et concentré depuis ce jour-là. En quoi cette découverte a été un tournant dans ta vie ?

J’aime énormément ce mec !

Je pensais que j’étais différent. J’ai eu beaucoup de difficultés sociales et je pense trop, beaucoup trop. Je n’arrive pas à dormir, car je pense trop et c’est vraiment dur.

Quand les docteurs m’ont dit que j’avais cette maladie, quand j’ai fait tous ces tests … Ils m’ont gardé sept semaines en observation dans un hôpital, à scanner mon cerveau, car c’est comme ça que tu découvres comment ton cerveau fonctionne et c’est comme ça que tu sais si tu as le syndrome du Savant ou pas.

L’activité cérébrale quand tu as le syndrome du Savant est différente. Il y a beaucoup d’échanges entre la partie gauche et la partie droite du cerveau. Je perçois les maths et l’art d’une manière différente.

Ce sont comme des formes qui prennent sens pour moi.

Dès que j’ai su que j’étais atteint de ce syndrome, j’ai commencé à me vraiment me concentrer sur les choses qui comptent.

J’ai arrêté de jouer dans des groupes, car je préférais développer mon propre talent, me concentrer sur mes émotions, car quand tu es dans un groupe tu as trop de compromis à faire.

Je ne savais pas vraiment ce que syndrome allait m’apporter, je ne savais pas ce que c’était et je voulais savoir ce que c’était, où je pouvais aller avec ça.

Et depuis ce moment-là, 10.000 / 11.000 morceaux !

Si là, tout de suite, j’allais faire un tour dans ton studio, il serait composé de quoi ? Que ce soit en hardware ou software ?

Ma méthode, mon approche de faire de la musique est assez particulière.

J’utilise énormément d’instruments, je chante beaucoup, je joue du piano, de la guitare et je combine toutes mes influences comme le blues, jazz, musique classique.

Quand tu as cette approche, tu ne peux pas seulement utiliser Massive comme tout le monde. Fuck that shit.

Pars de zéro, tu apprends tellement quand tu pars de zéro. Ne choisis pas la solution de facilité et préfère la manière compliquée. Si tu le fais comme ça pendant 10 ans, tu pourras absolument tout faire. J’ai énormément appris tout seul, jour après jour, semaine après semaine.

J’utilise FL Studio 10 et j’espère avoir la nouvelle version avec le mode performance où tu peux vraiment jouer en live avec les pads.

Pour créer mes morceaux, j’utilise beaucoup de samples de jeux vidéos et je les modifie à la main avec l’oscillateur et la forme d’onde.

J’utilise aussi le plug-in Sytrus qui est un très bon plug-in et j’utilise aussi Reaktor de Native Instruments qui fonctionne comme un framework avec plein de plug-ins intégrés.

Je fais tout sur Fruity Loops en fait.

Quelle est l’influence des jeux vidéos sur ton travail ?

Quand j’ai écouté Discovery des Daft Punk, j’ai tout de suite su ce qu’ils avaient voulu faire et à quoi ils pensaient.

Mes meilleurs morceaux sont ceux où les gens se disent : ça me semble familier, mais il ne savent pas plus précisément.

J’ai été super content d’avoir une Super Nintendo avec Link To The Past qui est mon jeu préféré. Contra est aussi un super jeu, j’aime tous les vieux jeu de Nintendo.

Tu as offert beaucoup de morceaux à tes fans. Quelle est ta position à propos du téléchargement illégal ?

Oui je le devais faire. Pourquoi pas ?!

Tu sais quoi ? Je pense que si tes morceaux arrivent à toucher directement tes fans, les gens qui apprécient ton travail. Si tu arrives à leur parler, à être ami avec eux alors ils savent qu’ils peuvent te faire confiance et que tu ne fais pas de la musique juste pour l’argent.

Moi je suis pauvre, je dépense tout mon argent en weed. Je veux juste passer mon temps à  fumer, à vivre.

L’argent, les grandes maisons, un studio énorme, tout ça ne m’intéresse pas. Je n’ai même plus d’enceintes, j’utilise un casque depuis un an maintenant, mais ce n’est pas un handicap, je sais comment mes morceaux doivent sonner.

Si les gens piratent mes morceaux alors … pourquoi pas. Ils ont le choix. Je ne vais pas les remercier de télécharger mes albums illégalement, mais je ne vais pas non plus te faire la morale, je m’en fou.

Au final, ils écoutent mes morceaux et ils seront là pour me soutenir.

Tous mes albums ont atteint la première place sur Beatport : Vario, Overworld et ISM, c’est fou, je suis vraiment très fier.

Tu as récemment partagé la démo d’un morceau qui avait un titre en français : l’obscurité. As-tu une relation spéciale avec la France ?

Je suis très émotionnel, très peureux et j’étais très nerveux à propos de cette mini-tournée en France alors quand je suis dans un état vraiment dépressif je vais sur mon piano et je compose.

Ce morceau c’était pour moi ma peur de Paris, mais quand je rentrerais je réaliserais un morceau vraiment très joyeux haha.

Quand j’étais jeune, j’avais remarqué que les « scènes », les « mouvements » étaient vraiment différents suivant les pays en matière de musique.

Les Français sont maximalistes, ils essayent d’aller au bout de leurs limites, ils sont vrais et ils veulent vraiment faire de la BONNE musique.

Et tout ça grâce à votre culture. Vous avez une longue histoire derrière vous alors que mon pays appartient au Danemark et la Suède alors nous n’avons pas vraiment de culture propre. On était pauvre jusqu’en 1970 avant de s’engager dans le pétrole.

Ici je me sens à la maison, car les gens sont vraiment comme moi, on veut tous du changement, de l’amour et beaucoup de musique électronique !

La France est vraiment très spéciale pour moi, je parle même avec votre accent !

J’avais étudié le français au lycée, il y a très longtemps, mais j’ai arrêté et j’ai tout oublié, car je fume beaucoup trop, mais je comprends beaucoup de choses.

Mon don s’applique aux mélodies et au rythme, je n’ai pas de relation particulière avec les mots, car c’est vraiment abstrait pour moi. Je n’ai jamais lu un seul livre dans ma vie.

Quel est le secret derrière le choix de dates de sorties de tes albums ? 11-11-2011 / 02-22-2012 / 06-02-2012 / 12-12-2012

Quand je termine un album, je sais ce que j’aurais pu améliorer dans chaque morceau alors je l’extrais et j’essaye de l’améliorer pour l’album suivant. Ce que j’ai aimé dans ISM, j’en ferais encore plus dans le prochain album.

Concernant la date de sortie qui suit toujours le même schéma, c’est à cause de l’inversion qui existe aux États-Unis. Je choisis le même nombre pour le jour et le mois et comme ça personne n’est confus.

Ton nouvel album doit sortir le 12 décembre prochain, comment sera-t-il ?

Le nouvel album sera le dernier de l’année alors c’est comme un grand final, un big bang !
Au départ, j’étais parti avec l’idée de prendre tous mes remixes et de les remixer d’une manière complètement différente, mais j’ai abandonné l’idée.

Le nouvel album sera plus brut, mais aussi très mélodique, plus progressif.